Étrangeté de Proust et de Forster : de la rhétorique à la phénoménologie
Résumé
Dès qu'un sujet de réflexion un peu ardu se propose, le pari des études littéraires consiste à invoquer des écrivains – en l'occurrence Proust et Forster – en faisant valoir leur extraordinaire expertise (insight) dès lors qu'il s'agit de traiter des affaires humaines. Tout récit romanesque s'élabore en donnant forme à ce que nous vivons, à ce que nous ressentons, et à la manière dont des individus s'arrangent de l'éternel conflit entre leur intériorité et les contraintes de la vie sociale. Le roman montre ainsi comment des personnages, en cela étonnamment proches de leurs lecteurs, confrontent ce qu'ils vivent et ce qu'ils savent, ou croient savoir ; au fil de l'intrigue, le lecteur découvre comment le flux de leurs émotions affectent leurs préjugés, construisent et déconstruisent leurs raisonnements, leurs relations aux autres. Proust et Forster sont particulièrement requis par cette expérience de l'étrange ; ils en thématisent les modalités et ce faisant l'éclairent. Les confronter permet de préciser comment, pour chacun d'eux, le sentiment de l'étrange, né de la découverte de l'homosexualité, elle-même fustigée sous le vocable d'étrange, revient sans cesse à la sexualité comme à son sol nourricier, sous les déguisements littéraires par lesquels elle se camoufle. La sexualité, l'homosexualité et sa répression ne sont certainement pas des « accidents » qui seraient extérieurs à la subjectivité de nos auteurs. Elles imprègnent les sources même de leur vision du monde : stigmatisées comme étrange, elles colorent la vie qui apparaît alors à la conscience comme quelque chose de superlativement étrange et fait objet d'infinies perplexités. Pour Proust et Forster, l'étrange serait à la fois l'origine et l'enjeu de toute pensée, le moteur et l'aliment infini de l'inquiétude.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)