L’insignifiant : de Barthes à Proust - Université de Lille Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2009

L’insignifiant : de Barthes à Proust

Résumé

La difficulté d'appréhender la notion d'insignifiance s'explique par notre irrépressible désir de produire du sens : il suffit qu'une chose ait un sens pour qu'elle nous semble homogène à l'esprit et que, par conséquent, on s'imagine pouvoir agir sur elle. Le « sens » rassure ; le non-sens amuse, en tant que manifestation excessive, théâtrale d'un sens provisoirement congédié. L'insignifiant, lui, inquiète. Et s'il n'était que l'apparence trompeuse du signifiant ? Un signifiant méconnu et d'autant plus menaçant qu'il semble d'abord inoffensif ? En se limitant à Barthes et à Proust, cette étude voudrait contribuer à montrer la fécondité littéraire et heuristique d'un imaginaire poétiquement paranoïaque du sens, imaginaire pour lequel l'insignifiant représente à la fois un ennemi, un défi, un tourment, et la source d'une dilection sans doute masochiste, mais ô combien créatrice. Dans l'analyse célèbre de l'effet de réel, Barthes montre qu'un « détail absolu » inscrit dans le récit l'évidence d'une chose qui proclame, sans le justifier, son droit d'être là, d'incarner la vie. Le sémiologue débusque le sens de ce qui prétend échapper au sens. La consistance soi-disant muette du réel légitime l'institution (bourgeoise) du réalisme littéraire, cette esthétique de la représentation. Mais la réflexion de Barthes évolue. Dans l'anamnèse, le biographème ou encore la photo, la sémiologie veut capter dans les étants une manifestation de l'être, d'une puissance de vie libératrice ; les choses comblent précisément par leur insignifiance, leur résistance à l'injonction de signifier. Mais le signe barthésien n'accueille l'insignifiance de la chose que lorsque celle-ci est morte, inaccessible : cette onto-sémiologie est mélancolique, parce qu'elle offre moins la présence ou la communion, si désirables, que le sentiment de la perte. Chez Proust, le statut et la valeur de l'insignifiant varie, selon le régime qui l'assume. Dans le régime poétique de la mémoire involontaire, l'insignifiant, ce déchet de la rationalité, ouvre la voie à la vraie vie, au passé retrouvé. Dans le régime obsessionnel de la quête de la vérité, l'insignifiant est un piège : il décèle l'information capitale, celle que l'aimée, maligne, veut dérober. Dans le régime de l'humour et de l'amour, l'insignifiant est reconnu comme un bienfait : on jouit (à deux) d'un réel (provisoirement) libéré du sens.
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hal-01677019 , version 1 (07-01-2018)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01677019 , version 1

Citer

Stéphane Chaudier. L’insignifiant : de Barthes à Proust . Audrey Camus (dir.). Écritures de l'Insignifiant, Études françaises, vol. 45 (n° 1), Presses de l'Université de Montréal, p. 13-31, 2009. ⟨hal-01677019⟩
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