Depuis plus de dix mois, en France, les services d’urgence hospitaliers connaissent un mouvement de grève national sans précédent. Porté par les soignants des Urgences, ce mouvement dénonce des conditions de travail dégradées et un manque de moyens dont les répercussions se perçoivent dans la prise en charge des patients. Par sa durée, son organisation autour d’un collectif de soignants, sa forte mobilisation avec 267 services d’urgence recensés en grève en janvier 2020 et le soutien de la population dont il bénéficie, ce conflit social reflète une morale particulière. Alors qu’on s’interroge sur la portée de ce mouvement comme étendard de défense du service public à l’heure où la réforme des retraites fait vaciller les valeurs solidaires de la Sécurité sociale, il convient d’analyser de manière compréhensive les causes, les logiques et les effets de cette grève. Aussi, l’analyse de la presse quotidienne régionale mise au regard d’un terrain ethnographique de longue durée dans deux services d’urgences du nord de la France nous permet de constater que les grèves aux Urgences font généralement suite à des agressions successives dont les soignants ont été victimes. Dès lors, l’analyse des sources de conflits dans les services d’urgence hospitaliers nous paraît heuristique afin de comprendre que la “violence” aux Urgences est avant tout le symptôme d’une remise en cause de l’ordre moral égalitaire et démocratique selon lequel l’accès aux soins serait le même pour tous.