10. Ingrédients des bifurcations professionnelles : latence et événements déclencheurs
Résumé
Mon propos dans cet article est de donner un éclairage sur la notion de bifurcation dans la reconversion professionnelle volontaire, à partir de cinquante-cinq entretiens réalisés auprès de personnes en situation de changement d’emploi. Je voudrais montrer un moment présent dans toutes les reconversions professionnelles volontaires observées, qui participe de la bifurcation elle-même. C’est un moment au cours duquel se construit la décision : « la latence ». La latence est ce processus de décision qui s’accompagne d’un moment de flottement, d’hésitations. Ce temps vide, pétri d’incertitudes « the vacum » pour Fuchs Ebaugh [1988] peut intervenir avant ou après le turning point. Cette expérience est décrite comme « un entre deux », l’impression de se sentir de nulle part « neither here or there » « nowhere », des sentiments anxieux prédominent, liés à l’impression « de ne plus avoir de place ». C’est un moment caractérisé par des doutes que l’on peut expliquer par la difficulté à « sauter le pas ». La phase de latence dont les interviewés font l’expérience dans la reconversion professionnelle volontaire, nous paraît pouvoir être rapprochée heuristiquement de la conscience anticipante décrite par Bloch dans son principe d’espérance [1976, p. 52]. Elle se clive en trois temps : la visée de quelque chose qui est recherché, c’est le premier temps de la latence défini comme une tension, une mise à distance de ses engagements antérieurs ; l’inspiration, qui rend possible la connaissance subite de l’évidence ; enfin dernier temps l’explicitation, où s’accomplit ce qui s’était amorcé, c’est le temps de l’événement et des opportunités…