Quels emplois et quelles conditions de travail pour les mères seules précaires ? Le paradoxe des politiques d'activation
Résumé
Au début de la pandémie de Covid-19 en France et pendant le premier confinement national (mars-mai 2020), nous avons espéré un renouveau pour les métiers du secteur des services. Les travailleuses des métiers du soin et du care, de la grande-distribution ou encore du nettoyage ont été mises en avant dans les médias pour leur travail en « première ligne » pour répondre aux besoins des Français, souvent avec peu voire pas de protection contre le virus. Cela a permis de rappeler un fait : ces métiers, occupés majoritairement par des femmes dans des situations parfois précaires et difficiles, sont de fait des métiers essentiels dans notre société. Cet espoir de revalorisation de l'image de ces métiers s'est bien vite essoufflé lorsque l'on a arrêté d'applaudir aux fenêtres à 20 heures et quand la vie a repris son cours normal avec le dernier déconfinement en mai 2021.
Parmi ces travailleuses précaires, une partie conséquente d'entre elles connaissent ou ont connu une situation de monoparentalité. En plus d'être plus exposées à la pauvreté en raison de leur situation familiale, leur situation dans l'emploi représente un autre déterminant d'entrée dans la pauvreté, les vulnérabilités se cumulant pour ces femmes qui sont donc surreprésentées parmi les travailleurs pauvres. En effet, un travailleur pauvre sur 5 est dans une situation de monoparentalité et 82% des ménages monoparentaux ont à leur tête une femme, ces mères sont alors plus souvent exposées à la pauvreté par rapport aux pères seuls et aux mères en couple.
La prise en compte, par les pouvoirs publics, des spécificités des questions de la pauvreté des mères seules s'est développée à partir des années 1970, en raison de leur expansion au Royaume-Uni puis en France, avec notamment la création de l'Allocation parent isolé en 1976 (Eydoux & Letablier, 2009), bien que cette question ait structuré les politiques familiales depuis le XIXème siècle. Au niveau européen, la Stratégie européenne pour l'emploi, mise en place depuis 1997, cible également cette population à travers des politiques d'activation des dépenses sociales. En effet, les mesures de ciblage tendent de plus en plus à s'inscrire dans une logique d'activation passant par une incitation à la (re)prise d'un emploi, l'hypothèse centrale étant que le fait d'occuper un emploi est le meilleur moyen d'échapper à la pauvreté.
Pourtant, la situation sur le marché du travail des mères seules semble assez dégradée : plus vulnérables face au chômage, elles sont surreprésentées dans des emplois précaire, à temps partiel (souvent subi) et ne procurant que de faibles revenus. Disposant de ressources insuffisantes, elles sont plus fréquemment contraintes d'accepter des emplois inadéquats et les politiques publiques peuvent alors sembler en partie inadaptées (Nieuwenhuis et Maldonado, 2018). Près de 60% des mères seules précaires travaillent dans les métiers des services à la personne (aides à domicile, assistantes maternelles), du nettoyage et d'agentes de service, de libre-service (grande-distribution, caissières et vendeuses) et de l'hôtellerie-restauration (serveuses). Parmi elles, 18% travaillent en tant qu'aides à domicile, aides ménagères ou travailleuses familiales, 8% sont nettoyeuses et 6% assistantes maternelles.
Dans cette communication, nous présenterons à l'aide de l'Enquête emploi 2019 (Insee), de l'Enquête Conditions de travail 2019 (Dares) et de l'enquête ERFS 2019 (Insee), d'un état de la littérature et d'entretiens semi-directifs auprès de mères seules, de travailleurs sociaux, de conseillers à l'emploi et d'employeurs, les métiers et les conditions de travail et d'emploi des mères seules précaires à l'aune des stratégies d'activation des politiques d'emploi. Nous montrerons qu'elles font face à différentes difficultés : des revenus faibles ne leur permettant pas toujours de sortir de la pauvreté, des horaires de travail atypiques et de journées morcelées conjuguées à des difficultés pour faire garder leurs enfants et enfin des conditions de travail et d'emploi dégradées entraînant des répercussions sur leur santé physique et mentale.