La comptabilité et l’expertise à l’origine d’un empire industriel : Marcel Boussac et la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre (1916-1928)
Résumé
Born into a family of textile industrialists, Marcel Boussac became an essential supplier of fabrics to the French Army from the outset of the First World War. Starting with the Comptoir industriel du coton, a private company of which he was both the managing director and the majority shareholder, he soon found himself at the head of a group of companies which controlled the entire textile sector. At the end of the war, Marcel Boussac branched out into new geographic zones and industrial sectors. In less than forty years, he had built a complete industrial empire. Examining the Boussac Archives held at the Archives Nationales du Monde du Travail (ANMT) in Roubaix, Northern France sheds light on the period during which this empire was founded. It bears witness to the significance of the Law of 1st July 1916, which introduced a windfall tax on war profits, on the conduct and tax-avoidance strategy of Marcel Boussac. Relying on the entrepreneur’s statement of income, the war profits tax motivated companies to develop their accounting systems. After a long period of legal action, the cogency of the accounting arguments and the legal advice that Marcel Boussac received enabled him to significantly reduce the adjustments demanded by the tax authorities.
Issu d’une modeste famille d’industriels du textile, et non pas des grandes dynasties nordistes, normandes ou alsaciennes et restant un peu en marge du grand patronat textile de son temps, Marcel Boussac bâtit rapidement un solide empire industriel à partir de la première guerre mondiale. Il s’impose alors comme un fournisseur incontournable de tissus de l’Armée puis se trouve à la tête d’un ensemble de sociétés intégrées au Comptoir industriel du coton, société anonyme dont il est administrateur et actionnaire majoritaire et qui maîtrise toute la filière textile. Dès la fin de la guerre, Marcel Boussac diversifie ses participations et ses affaires connaissent une success story à la française pendant plus de quarante ans. L’examen des archives Boussac conservées aux Archives nationales du Monde du Travail (ANMT) de Roubaix (France, 59) permet de mieux connaître la période de fondation de cet empire. Il en éclaire des aspects inédits si l’on chausse les lunettes du comptable ou du contrôleur du fisc. Cet examen informe alors sur la façon dont Marcel Boussac s’est adapté à la révolution fiscale que représente le vote de l’impôt sur le revenu en juillet 1914 puis surtout la loi du 1er juillet 1916 sur la contribution extraordinaire sur les bénéfices de guerre. Le souci de réduire le montant de cette contribution le pousse à développer ses services comptables et à consulter un conseiller juridique de renom pour se défendre contre la gourmandise du fisc. Ses contentieux seront tranchés par le Conseil d’État. Fort de cette expérience, le groupe continue de définir sa stratégie en tenant compte des transformations du régime fiscal : pour échapper à la taxe sur le chiffre d’affaires introduite en 1920, il adopte une structure intégrée. L’une des plus grosses fortunes françaises des années 1950-1970 s’est donc construite en pratiquant l’optimisation fiscale avant que ses pratiques soient généralisées.