Les inégalités sociales en prison : parcours, ressources et expériences de personnes entrantes en maison d’arrêt
Résumé
L’expression de « choc carcéral » est fréquemment utilisée tant par les professionnels exerçant en détention que dans la littérature universitaire pour désigner l’état de stupeur, de sidération et d’effroi que peut susciter l’arrivée en prison, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une première incarcération (Rostaing, 2021, pp. 56-68). Pourtant, la notion ne saurait épuiser les différentes façons d’appréhender l’entrée en prison. Les personnes les plus affectées ont en commun de vivre une « incarcération catastrophe » (Chantraine, 2003), comprise pour une rupture biographique majeure ou comme une descente aux enfers entamée à la suite d’un événement traumatique précis. À l’autre bout du spectre, certains détenus peuvent appréhender leur arrivée en prison comme un moindre mal, un espace de restructuration de soi ou une fatalité.
Partant de ce constat, cette communication s’appuie sur une recherche postdoctorale en cours, conduite dans le cadre de l’enquête Epsylon, portée par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale Hauts-de-France et portant sur l’évolution de la santé mentale des personnes détenues. En mobilisant des entretiens semi-directifs conduits à plusieurs reprises auprès d’une vingtaine d’hommes et de femmes récemment incarcérés dans trois maisons d’arrêt, elle se propose d’éclairer les trajectoires sociales et les ressources dont ils disposent qui leur permettent ou les empêchent de s’adapter au régime carcéral. Elle se propose dans un premier temps de lire ces différences au regard des trajectoires sociales des entrants : le genre, l’âge, la situation sociale et familiale ainsi que le parcours pénal et carcéral contribuent à façonner des rapports à la prison socialement différenciés. Dans un deuxième temps, elle ambitionne d’éclairer les ressources déployées par les arrivants pour s’adapter au régime contraignant de la prison. L’adaptation primaire (Goffman, 1961) nécessite d’être en mesure de mobiliser de petits capitaux inégalement distribués, qui dépendent largement de la trajectoire antérieure : le fait de réaliser des démarches administratives, d’obtenir de l’aide ou d’améliorer son quotidien grâce à des ressources financières en sont autant d’exemples. Mais dans un espace également caractérisé par l’informalité, les adaptations secondaires (ibid.) demandent d’autres types de ressources : la capacité à obtenir un téléphone portable ou du cannabis pour faciliter son quotidien, par exemple, dépend directement de ressources relationnelles, d’un capital social ainsi que d’une connaissance fine des règles de la prison et des moyens de les transgresser.