Ce que l'on apprend dans la marge. Intrication entre marginalité et transgression chez Antoine d'Agata
Résumé
« On vit dans un confort qui fait qu’on a décidé de ne pas… on a laissé à l’abandon des pans entiers de la société qui sont livrés à eux-mêmes, qui sont démunis » : c’est par ces mots que l’écrivain-photographe contemporain Antoine d’Agata justifie, dans L’Heure Bleue, son nomadisme et son choix de « vivre avec ceux qui sont de l’autre côté », soit auprès de ceux que Bertrand Ogilvie nomme « population-poubelle », ces « populations excédentaires » que les pays peuvent se permettre d’ « abandonner à leur sort ». C’est dans ce contexte qu’il élabore ses ouvrages photolittéraires, autant de variations d’une « autobiographie née du voyage et de l’errance ». Ses territoires de prédilection sont les « zones de non-droit, territoires de tous les écarts, refuges de spécimens d'humanité blessée, espaces clos et privilégiés où la bestialité sape la bienséance et les règles sociales », « zones et réseaux de survivance où prennent forme la marginalité, la résistance, la révolte des classes misérables ». Un espace, toutefois, se distingue de ces zones marginales : l’espace prostibulaire (de prostibulum, « lieu de prostitution ») « espace de subversion redoutable » où s’élabore une communauté férale, barbare, résistante.
La marge est ainsi pour Agata synonyme de transgression : transgression spatiale, puisqu’elle consiste à se rendre dans les angles morts du visible ; transgression morale, puisqu’elle permet d’accéder à un mode de vie subversif où les valeurs se renversent.
Cette intervention analysera la manière dont l’errance dans les espaces marginaux et hétérotopiques en général (et l’espace prostibulaire en particulier) permet à Antoine d’Agata d’élaborer une poïéthique transgressive. Nous proposons ainsi d’interroger la manière dont l’ethos d’Agata – qui ne marque aucun distinguo entre son existence et son œuvre – s’imprègne de ses séjours dans les marges, auprès des communautés marginales.