Benoît de Sainte-Maure fait de la mort d’Hector l’acmé émotionnelle de son Roman de Troie en mettant en scène le deuil collectif de la cité. Ce motif de la déploration sur le corps d’Hector est hérité des textes latins tardifs, mais le clerc lui donne une dimension inédite, en multipliant les voix qui se font écho pour dresser un ultime portrait du héros vaincu. Pour faire entendre ces lamentations, l’auteur reprend de nombreux motifs du planctus épique, mais les développe et les renouvelle, usant de procédés narratifs et poétiques variés, alternant les différents types de discours ou mettant en scène, au contraire, la violence d’une douleur qui laisse sans voix. Tantôt il rend le lecteur témoin de ces manifestations du deuil, tantôt il l’incite à partager la souffrance des personnages, allant jusqu’à l’inviter directement à ressentir leur douleur, tout en laissant lui-même s’exprimer sa propre peine. Le deuil d’Hector marque en effet le moment où le destin de Troie bascule et représente ainsi le pivot dramatique de l’œuvre. Mais il permet aussi de chanter la gloire du héros et de sa cité.