Urgence linguistique, négligence étatique & indigence institutionnelle: la triple peine pour les nouvelles langues régionales
Résumé
La publication de la circulaire « Langues et cultures régionales. Cadre applicable et promotion de leur enseignement » (14/12/2021) a rendu possible l'enseignement scolaire de trois langues régionales métropolitaines jusqu'alors exclues de l'offre curriculaire officielle, à savoir : le franco-provençal, le picard et le flamand occidental. L'ajout de celle-ci, « langue régionale marginalisée » (Puren, 2016), dans la liste des langues régionales enseignables était le cheval de bataille d'associations, d'élus locaux et de parlementaires depuis plus de vingt ans. Etant donné que le flamand occidental est souvent signalé comme« presque éteint » (Farasyn at al. 2002), d'aucuns concluront, non sans ironie grinçante, que l'État français ne risque pas d'être accusé de confondre urgence linguistique et précipitation institutionnelle.
Dans la présente communication, nous nous proposons d'étudier les urgences linguistiques spécifiques à ces trois « nouvelles » langues régionales dont la vitalité ou la survie est corrélée, au-delà des facteurs communs à d'autres langues territoriales françaises minorisées ou minoritaires, à la survenue ou la persistance de difficultés propres. Nous nous attacherons, d'une part, à décrire les freins institutionnels et les fronts politiques qui exacerbent les urgences linguistiques et, d'autre part, à d'analyser les ressorts d'un possible essor. L'originalité de notre démarche, au carrefour de la sociologie des élites, de la sociolinguistique et de la science politique, tient en ce que nous examinerons les carences de l'État, en matière de gestion de la diversité et du patrimoine linguistiques, à la lumière de certaines négligences causant une indigence institutionnelle hautement préjudiciable.
De fait, plusieurs phénomènes peuvent concourir, simultanément, successivement ou alternativement, à la survenue d'urgences linguistiques. Ces phénomènes sont généralement exogènes par rapport aux langues qu'ils affectent :politiques publiques glottophages (Calvet, 1974) ou linguicidaires (Skutnabb-Kangas & Phillipson, 1996), pastorales comparables ou complémentaires à ces politiques publiques (Areiza Londonõ), mondialisation (Ostler). Ils peuvent, néanmoins, s'avérer également endogènes, si l'on veut bien admettre l'auto-odi (Alén Garabato & Colonna, 2016) comme un facteur aggravant de la dévitalisation linguistique. Parmi ces phénomènes endogènes nous estimons nécessaire ce compter, pour au moins le flamand occidental et, dans une moindre mesure, le picard, la collatéralité même des langues concernées par l'urgence linguistique. Nous insisterons ainsi tout particulièrement les enjeux scientifiques, politiques et (para)diplomatiques (Ghillebaert, 2021) autour de la définition du flamand occidental comme langue régionale en France, bien au-delà de la simple question glottonymique. A cet égard, nous mettrons en évidence une négligence de l'État français, en matière à la fois de souveraineté scientifique et d'autorité administrative, laquelle a donné lieu à la constitution d'un monopole de la taxonomie académiquement légitime contraire aux intérêts des ressortissants français.
Selon une approche davantage ancrée dans la sociolinguistique clinique (Ball, 2005), nous ne nous limiterons pas au constat de l'indigence des ressources institutionnelles actuellement disponibles pour l'enseignement des trois « nouvelles » langues régionales et à l'exposé des risques nouveaux générés par cette indigence. Nous évaluerons plusieurs pistes de remédiation suivies ou envisagées telles que la création de Diplômes Universitaires ou l'utilisation du label « Disciplines Rares » (Haas et al., 2023).
Domaines
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