La productivité en questions et en expérimentations
Résumé
La notion de productivité est ancienne : d’après Kastovsky (1986), Jespersen (1942) est le premier à y avoir recouru, pour ce qui est de l’anglais, tandis que Schultink (1992 : 188) va plus loin en soutenant qu’elle est déjà en filigrane chez les grammairiens du sanskrit. Mais elle est peu explorée, en France du moins. Alors qu’elle vient de se voir consacrer coup sur coup deux ouvrages entiers hors de France et qu’elle fait l’objet de nombreux travaux aux Pays-Bas depuis une bonne dizaine d’années, la question de la productivité inspire peu les chercheurs français, que ce soit d’un point de vue théorique – la seule amorce de réflexion théorique menée en France est à ma connaissance due à D. Corbin (cf. Corbin D. 1976 et 1987) et à P. Corbin (cf. Corbin P. 1982) –, ou d’un point de vue expérimental.
L’objectif du présent numéro est précisément de tenter de combler en partie ces lacunes :
– L'article de G. Dal propose un état de l’art sur la question : après une recension commentée des définitions que la notion de productivité a reçues, il discute des principales mesures qui ont été proposées, en s’attardant tout particulièrement sur les propositions de H. Baayen, qui, à ce jour, demeurent les plus usitées.
– Les articles suivants sont moins généralistes. L’article de F. Meunier se situe dans le champ de la psycholinguistique. Elle y fait apparaître que les mots construits nouveaux mettant en œuvre des procédés constructionnels productifs constituent la pierre d’achoppement de la plupart des modèles de reconnaissance de mots, quel que soit le mode d’accès lexical qu’ils prônent . Les deux articles suivants traitent chacun de la productivité d’un procédé constructionnel du français, articulant théorie et expérimentation tout en suivant des démarches opposées : S. Aliquot-Suengas part de la productivité de la forme ade apparaissant dans des innovations lexicales pour statuer sur le nombre de suffixes ade du français ; B. Fradin et N. Hathout tirent au contraire parti d’une étude linguistique de la suffixation en et(te) pour en évaluer la productivité au moyen des outils de mesure proposés par H. Baayen. Les deux derniers articles exploitent chacun à sa manière le développement exponentiel des corpus textuels électroniques. F. Namer décrit dans un premier temps une chaîne de traitement de corpus réutilisable pour la préparation et la création d’une base de données lexicales pour le français, et l’utilise dans un second temps pour reproduire sur le français une expérience relatée dans Krott & al. (1999), selon laquelle il existe en allemand et en néerlandais une corrélation entre la productivité quantitative d’un procédé et la complexité des bases sur lesquelles il s’applique. N. Grabar et P. Zweigenbaum observent la productivité d’une partie des procédés formant des adjectifs dénominaux en français à travers divers domaines et genres : ils commencent par comparer langue générale et langue de spécialité (médecine), et s’intéressent ensuite à la variation de la productivité de ces mêmes procédés à l’intérieur d’une même spécialité médicale, en comparant comptes rendus hospitaliers et sites web.
Résumés plus détaillés des articles sous http://www.persee.fr/issue/lfr_0023-8368_2003_num_140_1.