Le "prix" de la Révolution en Tunisie
Résumé
le 9 octobre 2015, le prix Nobel de la paix est décerné au « quartet » tunisien, composé de l’organisation patronale, de la centrale syndicale, de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et de l’Ordre National des Avocats. Nouvelle étape de la construction d’une histoire radieuse érigeant la « transition démocratique tunisienne » en modèle et en exception, les célébrations sont orchestrées dans un registre patriotique digne d’une victoire de l’équipe nationale de football. Mais les effusions de joie n’ont pas eu la dimension populaire que le sport peut parfois provoquer. Par delà les discussions sur la légitimité des acteurs lauréats et des oubliés, le « Prix » s’inscrit dans un processus politique reléguant les débats sur les conditions de vie et de protection sociale, en se concentrant sur les enjeux « des règles du jeu démocratique ». En effet, depuis mars 2011, la focalisation successive sur la constitution, sur les élections et enfin sur le terrorisme a pernicieusement détourné le regard des luttes économiques quotidiennes, des (non-) régulations qu’elles connaissent et des contradictions qu’elles produisent en termes politiques. La question de la protection sociale est pourtant toujours aussi vivace. Avec la fin du « guichet unique » du parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), on assiste à la recomposition des relations clientélistes, à coloration « charité musulmane », ainsi qu’un renforcement relatif du rôle de la bureaucratie syndicale dans la redistribution vers des secteurs précis. Certains ont pensé que le parti conservateur musulman Ennahdha, grâce à son habileté à incarner un registre identitaire populaire, pouvait mobiliser et servir les intérêts de ces catégories de la population, en proposant une alternative économique à la domination protectrice et autoritaire du RCD. Mais les responsables du parti islamiste – d’une part, largement acculturés aux recettes du néolibéralisme et, d’autre part, sous pression dans une configuration politique où ils devaient donner des gages de « normalisation démocratique » – n’ont pas bouleversé pour le moment la donne économique.