La construction de la confiance au moyen de leviers relationnels dans le cas d’une escroquerie
Résumé
Mark Granovetter met l’accent sur le rôle de l’encastrement relationnel des transactions économiques. Les relations marchandes, en particulier les plus soumises aux incertitudes, sont souvent encastrées dans des relations sociales, ce qui permet de créer la confiance nécessaire à la conclusion des transactions. Cependant, la plupart des travaux en sociologie économique se focalisent sur l’économie formelle, voire informelle, laissant dans l’ombre la question des escroqueries - et plus largement de l’économie criminelle. Or les escroqueries font partie intégrante de la vie des affaires. Et l’encastrement relationnel et structural, en favorisant la confiance, offre aussi des conditions propices à la tromperie et aux escroqueries, comme le montrent les travaux des criminologues : les escroqueries reposent en effet souvent sur des réseaux sociaux.
Je propose d’examiner ici le lien entre confiance et réseaux sociaux à partir de l’étude de cas d’une escroquerie, l’affaire Santa. Il s’agit d’un cas un peu particulier, dans la mesure où elle concerne essentiellement des militaires du Greenland en poste en Agarie, même si des civils ont également été escroqués en Agarie et au Greenland. L’escroquerie porte sur de soi-disant placements financiers à rendement élevé, sous couvert de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux (Paradise, New Paradise, Paradise Island, United Paradise). L’intérêt de ce cas d’escroquerie réside notamment dans sa durée - plus de dix ans - et son étendue - près de 500 victimes. Comment la confiance nécessaire à l’acquisition de ces pseudo-produits d’investissement a-t-elle été produite alors que leur qualité était incertaine, les informations peu accessibles et les risques élevés ? En situation d’incertitude, la confiance est généralement médiatisée par des dispositifs de jugement, personnels ou impersonnels, comme des relations sociales, des systèmes de garantie, des certifications, etc. Pour les acquisitions peu fréquentes de biens ou de services d’un montant relativement élevé, les consommateurs ont même d’ailleurs tendance à se tourner directement vers leurs relations personnelles.
L’escroquerie n’a ainsi pu fonctionner que grâce à l’appui de dispositifs de confiance, servant de caution aux démarcheurs. Je m’intéresse ici aux cautions mobilisées en fonction des clients. Les victimes sont de statuts sociaux et militaires différents. Je retiens principalement trois catégories : les sous-officiers, les officiers et les civils. Le statut social des civils, généralement cadres ou commerçants, est plus proche de celui des officiers que des sous-officiers. En revanche, l’appartenance à l’armée représente une identité sociale commune, qui différencie fortement les militaires des civils. La première question traite de la variété des gages de confiance. Quel type de caution a plus particulièrement favorisé la confiance des victimes selon leur statut? Et dans quelle mesure le poids des relations personnelles et des cautions institutionnelles varie-t-il selon les catégories ? La seconde question se focalise sur les relations interpersonnelles. Pour créer la confiance, les démarcheurs se sont généralement recommandés auprès des cibles démarchées de relations communes, ayant déjà investi dans les pseudo-produits financiers. Quelles références les démarcheurs ont-ils utilisées selon les clients ciblés ?