Création monétaire et État : dialogue entre la Théorie de la régulation et la MMT, le cas de la création monétaire en France dans une période précapitaliste (XVIIe-XVIIIe siècle)
Résumé
La Modern Monetary Theory (MMT) (Mitchell, Wray et Watts, 2019 ; Wray, 2012) vient renouveler les analyses portant sur le rapport entre l’État et la monnaie. Selon cette approche, la monnaie est une créature de l’État. Ce dernier possède en effet la capacité d’imposer des impôts sur son territoire. Les agents s’y trouvant se voient ainsi dans l’obligation de se procurer les moyens de paiement nécessaires au règlement de l’impôt. La MMT fait écho à la théorie néochartaliste qui conceptualise l’impôt comme un formidable moyen d’instaurer une économie monétaire (Knapp, 1924). Dans cette perspective, la limite à la création monétaire repose seulement sur les ressources réelles : technologie, ressources naturelles, et force de travail. Il n’existerait pas de contraintes intrinsèques à l’État dans le mécanisme de création monétaire, selon la MMT.
L’engouement pour cette approche trouve son origine dans son appropriation par la scène politique états-unienne et internationale à travers notamment le Green New Deal. Discuter de ses soubassements théoriques représente à cet égard un enjeu politique et académique important. La communication viendra en ce sens interroger ses fondements, d’une part, en mettant en perspective la MMT avec le concept de « régime fisco-financier » (Théret, 1992) – qui se conçoit comme l’institutionnalisation de régularités dans les formes de prélèvement, de redistribution et d’endettement – de la Théorie de la régulation ; et d’autre part, elle apportera un éclairage historique sur les mécanismes de création monétaire dans la période de transition qui mène au capitalisme en France entre le XVIIe et le XVIIIe siècle.
Faire dialoguer le concept de régime fisco-financier avec la MMT a pour avantage d’enrichir la compréhension du rapport entre l’État et le rapport monétaire. Alors que la MMT marginalise le conflit (Palley, 2020), la notion de régime fisco-financier souligne son importance dans les formes de prélèvement, de dépense et d’endettement. En ce sens, le système fiscal et l’État, compris comme des rapports sociaux, font face à des contraintes intrinsèques qui sont situées socialement et historiquement en fonction des divers compromis institutionnalisés. Il en est ainsi de la période historique que la communication se propose d’étudier. Contrairement à l’Angleterre à la même période (Desmedt, 2007), le système de crédit français ne repose pas sur un système bancaire développé, mais sur des « financiers » qui se déclinent sous la forme d’agents royaux dont la fonction est de prélever les impôts directs (les officiers) et les impôts indirects (les fermiers) (Bonney, 1999 ; Dessert, 1984). La mise en place de ce système de crédit, reposant sur l’impôt, engendre l’apparition de titres de reconnaissance de dettes émis par le pouvoir royal qui sont ensuite utilisés comme instrument monétaire par les agents royaux entre eux et au-delà de leur cercle, par le biais des emprunts auprès du secteur « privé ». Je montrerai au cours de cette communication l’importance du conflit entre les agents royaux et entre la paysannerie et ces agents royaux pour comprendre la dynamique du régime fisco-financier.
La communication répondra dès lors à une thématique des journées d’études, à savoir « les conditions requises pour que les évolutions monétaires ne soient pas déstabilisatrices et ne compromettent pas l’atteinte des objectifs retenus » (p. 3). En effet, la notion de régime fisco-financier est particulièrement éclairante pour comprendre la façon dont les objectifs – les règles – monétaires se reproduisent au cours du temps. Aussi, cette communication apportera des éclaircissements sur les mécanismes de création monétaire dans une acception de « monnaie endogène révolutionnaire » (Rochon et Rossi, 2013).
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