La logistique, raison d’être du travail détaché aux abords du port de Rotterdam
Résumé
L’étude de cas présenté dans cet article constitue un outil d’analyse particulièrement pertinent pour comprendre un certain nombre de phénomènes contemporains, lesquels doivent être étudiés de façon conjointe. Il s’agit, d’une part, des transformations dans les organisations produc-tives sous l’impulsion de ce qui est nommé dans la litté-rature spécialisée « la révolution logistique », et, d’autre part, de l’apparition en Europe de mobilités in-tracommunautaires de type pendulaire, directement gérées par une « industrie des migrations » qui se constitue de manière ad hoc dans le contexte de la construction d’un marché européen de l’emploi. D’après les analyses en sociologie du travail, la logistique est bien plus qu’un processus technique plus ou moins complexe, elle est plu-tôt un instrument essentiel pour mettre en place un modèle de production dit « juste-à-temps » qui réduit les coûts des stocks (matériaux, produits, personnel permanent…) et qui peut s’appliquer à la fois à la production, aux pratiques de consommation, ou encore à la gestion de la mobilité de la main-d’œuvre. C'est précisément cette recherche d'une mobilité organisée et de plus en plus fonctionnelle qui nécessite des formes contractuelles et des statuts juridiques adaptés, ce qui nous permet d’émettre l’hypothèse de l’existence d'une similitude entre les politiques migratoires et les principes de fonctionnement de la logistique. Cette contribution se focalise en particulier sur les différentes formes de détachement utilisées par une usine espagnole de production de jus de fruits (AMC Natural Drinks) qui s’est délocalisée aux abords du port de Rotterdam, et sur la façon dont ses processus productifs s’adaptent à la possibilité de disposer d’une main-d’œuvre déracinée, fragmentée par une multiplicité de types de contrats de travail et de statuts de séjour et pleinement flexible.