Compter et se mesurer dans les pratiques du christianisme latin au Moyen Âge
Résumé
Les pratiques religieuses du Moyen Âge latin firent un usage abondant des dénombrements et mesures. L’article propose d’en chercher l’intelligence en posant l’hypothèse qu’est à l’œuvre un langage des nombres dont la cohérence réside dans une « arithmologie chrétienne », fondée sur la science mathématique grecque et la valeur accordée aux numérations par la Bible puis la littérature patristique. Il en ressort que le discours normatif médiéval use des nombres et mesures tout à la fois comme supports de mémoire, mode d’étalonnage et références axiologiques. Relayé par les clercs, ce langage a donné lieu à diverses formes d’appropriation : réflexives, au titre d’un exercice d’introspection ; solidaires, pensées en intégration dans des réseaux verticaux et horizontaux d’entraide spirituelle ; démonstratives, vécues sous le regard d’autrui. Au total, il ne s’agit pas tant de quantifier la question du salut que de se livrer par ce biais à un retour sur soi qui aboutit, paradoxalement, à prendre conscience de l’incommensurabilité de l’intentionnalité et de la miséricorde.