Distinguer les « bons » des « mauvais » musulmans. Enquête dans les archives du ministère de l’Intérieur des années 1990
Résumé
Le présent chapitre vise à affiner notre compréhension de la fabrique d’un « problème musulman » en se focalisant sur le rôle des conseillers du ministre de l’Intérieur et des agents de renseignements lors de la séquence historique correspondant au milieu des années 1990. Ce faisant, il poursuit une démarche initiée par d’autres sur les catégories d’entendement mobilisées par les agents de l’État afin de cartographier l’islam de France. L’hypothèse du chapitre est qu’on assiste à cette période à l’hybridation de deux types de rationalité politique : une rationalité sécuritaire, essentiellement répressive vis-à-vis d’acteurs musulmans perçus comme étrangers et prééminente lors du mandat de Charles Pasqua comme ministre, de mars 1993 à mai 1995, et une rationalité intégrationniste, visant à faire émerger un « islam républicain », s’affirmant sous le mandat de Jean-Pierre Chevènement de juin 1997 à août 2000. Cette hybridation progressive est particulièrement perceptible dans les activités de classement et de hiérarchisation mises en œuvre par différents services du ministère, qui ont directement trait aux entreprises de cooptation, de canalisation et de disqualification analysées en introduction de cet ouvrage. Les critères de distinction entre « bons » et « mauvais » musulmans évoluent et surtout, ces derniers font l’objet d’un important travail de différentiation visant à déterminer ceux qui peuvent prendre place à la « table de la République » et ceux qui doivent en être exclus, dans la perspective du futur Conseil français du culte musulman mis en place en 2003.