Le corps du joueur et l’écran traversé : récurrences et circulation d’un motif.
Résumé
This article aims to identify and to interpret a recurring topos regarding the relationships between the video game player and the screen : screen crossing. By “screen crossing” I mean representations which feature screens crossed in one way or the other, by the player or by the game’s diegetic figures. The identification of this topos first goes with the tracking of its appearances as well as its variations as soon as the early 1980’s, within the illustrations in video game press, in advertisements, in movies, or in cartoon books. Regarding its interpretation, the works of Scott Bukatman and Vivian Sobchack about science-fiction allow us to think of the screen crossing in the terms of a decentered subjectivity, of a subject projected into the machine. Then the mistreated body of the player, as represented in many ads and cartoons, appears to be the correlate of the individual caught into the lines of the program, submitted to the visual and attentional logics of the machine. In this way, as depicted in numerous ads, the gaming situation is explicitly labeled as “action” and the player is thus often commanded to react. The video game player appears in close proximity with what Georges Vigarello has called an “informational body”, that is, the individual’s capacity to react and to adapt to the screen’s flow of information. The screen crossing topos betrays a confused situation, one of a body which is neither truly in front of the screen nor truly within it. From the representations and the discourses, such a situation is inherent to transformations regarding the screen, and leads us to think in a different way about the notions of immersion and interactivity.
Cet article se propose d’identifier et d’interpréter un motif récurrent concernant les représentations des rapports du joueur de jeu vidéo à l’écran : l’écran traversé. Cela concerne des représentations d’une transgression de part et d’autre de la surface de l’écran, soit par le joueur, soit par divers éléments de l’univers du jeu. Dans un premier temps, l’identification du motif s’attache à en repérer les occurrences multiples ainsi que les variations, dès le début des années 80, au sein des illustrations de la presse vidéoludique, dans des publicités, dans des films, ou encore dans des albums de caricatures. L’interprétation, quant à elle, faisant appel aux travaux de Scott Bukatman et Vivian Sobchack sur la science-fiction, vise à penser le motif de l’écran traversé au prisme d’une subjectivité décentrée, passée dans la machine, de telle sorte que le corps malmené du joueur, tel qu’il apparaît dans de nombreuses représentations, se présente comme le corrélat d’un sujet pris dans les raies du programme, soumis aux logiques visuelles et attentionnelles de la machine. Ainsi, tel qu’énoncée dans de nombreuses publicités, la situation de jeu apparaît sous le terme d’action, le joueur y est régulièrement sommé de réagir. C’est en ce sens que le joueur apparaît proche des considérations de Georges Vigarello à l’égard d’un « corps informationnel », caractérisé par la capacité de l’individu à réagir et à s’adapter aux flux d’informations des écrans. Le motif de l’écran traversé trahit une situation confuse, celle d’un corps ni véritablement devant, ni véritablement dedans, une situation de fait inséparable de transformations qui concernent le statut des écrans et qui nous invite à penser différemment, à partir des représentations, les idées d’immersion et d’interactivité.